Interview de Jean-François Hilaire par PHARMAnetwork magazine – N°58 ; P51 Créer un cadre prévisible pour encourager les fabricants pharmaceutiques à investir dans la capacité de production en anticipation de la demande à venir. Traditionnellement en Europe, les autorités réglementent les produits pharmaceutiques du point de vue de la qualité grâce aux Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF) et du point de vue économique avec diverses réglementations de fixation des prix. Malgré l’unification de la réglementation sur les BPF, les paramètres de fixation des prix varient, ce qui entraîne une confusion quant aux canaux de distribution et des contraintes économiques pour certains produits. De plus, la concurrence avec les médicaments génériques a nécessité de réduire les coûts de production, ce qui a été réalisé en consolidant la demande mondiale pour un produit donné ou un intermédiaire, dans un nombre limité de centres d’approvisionnement, souvent situés dans des pays à faible coût de main-d’œuvre, principalement en Chine. Cela a participé à une augmentation du nombre de pénuries de médicaments ces dernières années, atteignant son apogée pendant et après la pandémie de Covid-19, bien que l’approvisionnement en vaccins Covid-19 en Europe (fabriqués d’ailleurs en Europe) ait été remarquablement efficace. Défis économiques des fabricants de médicaments De nouveaux défis se présentent pour les fabricants de médicaments. Par exemple, la mise en place de l’Annexe 1 du règlement européen sur les Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF), et des exigences plus strictes provenant de diverses réglementations pourraient nécessiter d’importants investissements dans les installations de production. Certains fabricants pourraient ne pas être en mesure de supporter ces coûts, ce qui conduirait à la fermeture de nombreuses installations de production. Parallèlement, la recherche de la durabilité environnementale mènera à des restrictions concernant l’accès à l’eau, la construction de nouveaux bâtiments, ainsi que l’augmentation des coûts énergétiques. Bien que ces mesures soient légitimes en tant que responsabilités des entrepreneurs, le cadre économique dans lequel les produits pharmaceutiques sont fabriqués ne permettra pas à tous les acteurs de faire face à autant de contraintes. Relocalisation de la fabrication pharmaceutique en Europe Pour permettre aux fabricants d’investir de manière raisonnable dans la capacité de production, en prévision de leurs besoins immédiats, une véritable politique de relocalisation de la fabrication pharmaceutique en Europe est nécessaire, avec un soutien pour l’accès à la terre et aux services publics, avec des conditions réglementaires et économiques prévisibles, permettant aux entreprises de construire des installations et de se connecter aux services publics. Pour augmenter les chances de succès, il est essentiel de combiner cette approche avec des réglementations de prix de médicaments raisonnables, un soutien financier du gouvernement pour encourager les investissements, et l’accès à des professionnels qualifiés. Autrement, cela pourrait prendre des décennies pour la mettre en œuvre, voire ne jamais se réaliser. Ces initiatives ne devraient pas se limiter aux médicaments essentiels. Il est tout aussi important de garantir que les nouveaux traitements innovants développés en Europe, grâce à des incitations fiscales de différents États membres, restent en Europe pour leur production commerciale. Cela impliquerait des investissements dans les infrastructures de la part des divers acteurs de l’industrie, mais également des incitations de la part des autorités publiques. Mission des CDMO : livrer les quantités de produits commandées à un prix compétitif À court terme, en plus des mesures structurelles suggérées précédemment, et des signalements sur les pénuries de médicaments, il serait bénéfique d’assurer la transparence des stocks disponibles pour un produit donné dans toute l’Europe pour les titulaires d’autorisations de mise sur le marché. Cela leur permettrait de mieux gérer leur chaîne d’approvisionnement et de prévoir la demande future. Ces informations pourraient ensuite être transmises numériquement à leurs fournisseurs, y compris à nous en tant que CDMO (Contract Development and Manufacturing Organization). En tant que CDMO, notre mission est de produire les quantités de produits commandées par nos clients à des prix compétitifs. Pour ce faire, nous avons besoin d’accéder à tous les composants nécessaires, tels que les principes actifs, les excipients et les matériaux d’emballage. De plus, nous avons besoin d’une utilisation efficace de nos installations de production, idéalement avec une demande stable et prévisible. Avec ces conditions en place, les sites de production en Europe pourraient réagir rapidement à tout changement de la demande, tout en maintenant un contrôle adéquat. De plus, les autorités pourraient envisager la mise en place d’un processus réglementaire spécifique pour permettre une réponse rapide en cas de besoin urgent. Cela pourrait impliquer le remplacement d’un composant devenu indisponible ou intervenir en cas d’accident, comme la tempête qui a fermé le site de Pfizer aux États-Unis en Caroline du Nord en juillet 2023. En conclusion, l’Europe est un emplacement privilégié pour développer et fabriquer des produits pharmaceutiques pour les besoins nationaux, ainsi que pour l’exportation. La création d’un environnement favorable aux entrepreneurs dans ce secteur répond non seulement à un impératif de santé, mais prépare également l’avenir pour les générations futures, s’inscrivant ainsi dans une perspective à long terme.